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Les circuits courts : quels enjeux et quelle place pour l’ESS ?

stevepb / Pixabay

Synthèse de la table ronde organisée dans le cadre des Etats Généraux de l’ESS.

Répondant à une double attente, agricole et alimentaire, le développement fulgurant des circuits courts fait émerger un marché confus et tendu. A travers un diagnostic partagé sur l’intérêt et les limites de leurs initiatives, les acteurs présents s’interrogent sur l’avenir de ces circuits et la place de l’ESS dans ce contexte.

Cette table ronde, initiée par le PCES et organisée en partenariat avec Filière Paysanne et Alliance Provence, a réuni un petit nombre d’acteurs de l’ESS intervenant dans les circuits courts principalement en tant qu’intermédiaires détaillants ou grossiste (Filière Paysanne, Label Ethique, Epice) ou en tant que force d’appui (Alliance Provence, ADEAR). Animé par Bruno Lasnier, le débat s’est davantage apparenté à une analyse collective de la situation à travers les expériences de chacun, qu’à un réel débat contradictoire.

Un rapide tour de table a permis aux participants de s’accorder sur l’intérêt des circuits courts et de mettre en évidence la diversité des modèles. Luttant pour le maintien d’une agriculture paysanne de proximité et répondant à une demande produits alimentaires frais et sains, ce mode de commercialisation évite le passage par la grande distribution ou les marchés de gros dont les pratiques écrasent les producteurs sans que prix et qualité soient assurés pour le consommateur. Les circuits courts présentent une multiplicité de modèles : marché paysans, points de vente collectifs « producteurs », épiceries de quartier ou boutiques de commerce équitable, livraison de paniers type AMAP ou selon des formules plus ou moins souples, plus ou moins commerciales… La définition même du circuit court n’est pas simple : proximité, peu ou pas d’intermédiaires… sont des critères évidents mais pas toujours faciles à transposer en indicateurs quantifiables.

Les points de vue sont apparus un peu moins unanimes sur la situation actuelle de la distribution en circuits courts. Pour Gaëtan Vallée (Alliance Provence), le marché des produits paysans en circuits courts est aujourd’hui confus. Face à une forte demande des consommateurs (« manger local est devenu la grande mode »), un foisonnement d’initiatives de distribution a vu le jour, engendrant une forte concurrence entre distributeurs. Tous ne pourront probablement pas survivre et certains acteurs historiques sont déjà en difficulté. Le marché de la restauration collective commence aussi à s’ouvrir, posant d’autres problèmes, notamment de coordination, pour fournir de gros volumes. Les différents types d’acteurs de la filière réfléchissent chacun de leur côté mais les réseaux se rencontrent assez peu. Quel sera le paysage dans 5 ou 10 ans ?

Le secteur manque d’analyses prospectives. Pour les intermédiaires de l’ESS que sont Epice et Label Ethique, il devient effectivement difficile de trouver des producteurs, et surtout des producteurs acceptant de s’engager dans une démarche de progrès (transparence, équité et lien social, respect environnemental). Pour tous, il devient difficile également de trouver des consommateurs désireux de s’engager dans des modèles type AMAP, donc plus contraignants que les formules souples qui sont maintenant proposées sur le marché. Jérémy, pour l’ADEAR, fait remarquer que les modèles « marché paysan » ou « point de vente collectif » ont l’avantage de créer du lien social entre producteurs, répondant à un réel besoin dans la profession. La perception du marché par Jean-Christophe Robert (Filière Paysanne) est à priori assez différente, car son volume d’activité a très fortement augmenté en un an, permettant un équilibre financier tout en rémunérant 4 salariés. Il est vrai qu’il s’agit d’une « formule souple » qui plait aux consommateurs, nécessitant cependant, pour la structure, de gérer une complexité logistique croissante.

Le débat a ensuite porté sur deux points qui apparaissent, aux yeux des participants, comme critiques dans ce contexte : la transparence et la fixation des prix. La transparence n’est pas toujours facile à obtenir de la part des producteurs, pour lesquels les circuits courts semblent devenir un débouché comme un autre… ce qui pourrait générer des déconvenues chez les consommateurs militants. Et la fixation des prix par les producteurs semble obéir à des logiques très variables : selon les producteurs, selon les clients, selon les régions, selon les secteurs. Gaëtan Vallée relate des discussions entre producteurs dans le cadre d’une formation co-organisée par l’ADEAR et Alliance Provence : un même panier de légumes a été estimé comme ayant un prix/coût presque deux fois plus élevé dans le Var que dans les Hautes-Alpes, ce que la configuration des terroirs ne justifie pas. Le prix semble relever de l’habitude culturelle, être le résultat d’une « convention sociale » implicite plus que d’un calcul rigoureux du coût unitaire de production. Cette impression est partagée par Benoit Hamon d’Epice et Florence Thomann de Label Ethique : les producteurs ne semblent pas bien connaître leurs coûts réels, ne pas distinguer coûts lié à la production et coûts liés à la distribution (d’autant plus lorsqu’ils assurent eux-mêmes la distribution de leurs produits, ce qui est le cas de nombreux petits producteurs). Souvent écrasés par les grossistes conventionnels, n’ont-ils pas la tentation de se rattraper sur leur prix face à des acteurs ESS en circuits courts beaucoup plus accommodants… sans réaliser que les petits intermédiaires qui assurent la distribution ont aussi des coûts à couvrir ?

Cette situation (formation du prix confuse et transparence difficile) met en péril les intermédiaires ESS des circuits courts avec, comme risque à terme, que ce mode de commercialisation soit récupéré par des acteurs plus conventionnels dans une logique purement lucrative. Payer aux producteurs le juste prix est un principe fort pour les acteurs du commerce équitable Nord Nord, mais quel est finalement le juste prix ? Comment fixer un prix qui permette à tous les acteurs de la (courte) filière de vivre ? Veut-on assurer des filières pérennes hors des circuits conventionnels ? Et si oui, comment et avec qui ? Telles sont les questions qui auraient avantage à être débattues, non pas seulement entre distributeurs mais aussi et surtout en croisant les réseaux : de producteurs, de distributeurs, de consommateurs.

Émanant assez logiquement de cette discussion, la question s’est posée : « mais, finalement, qu’est-ce qui fait la spécificité ESS dans les circuits courts ? ». Les participants se sont mis d’accord sans difficulté sur les points suivants :

  • le rapport au prix (prix juste) et au producteur (lien humain, pas exclusivement marchand)
  • la transparence, qui doit être un critère fort
  • la sensibilisation des consommateurs sur le lieu de vente et l’information sur « ce que contient le prix » en termes économique, social et environnemental ; ce qui demande, au préalable, que soit effective la transparence, y compris au niveau de la formation du prix. l’engagement des consommateurs, certains participants demandant cependant de faire preuve de tolérance vis-à-vis des consommateurs faisant des choix correspondant à leurs moyens, matériels, financiers, temps, mode de vie… et pas uniquement à leur éthique !

Il apparait donc clairement que les deux points relevés comme critiques par les acteurs présents, le sont précisément dans une perspective ESS. Si les circuits courts en général répondent assez bien à un objectif de développement durable -économique, social et environnemental -, la spécificité ESS est alors de mettre l’accent sur le volet social, souvent négligé. Seuls de réels partenariats avec les producteurs sont à même d’y pourvoir, assurant également pour les producteurs une régularité et continuité que le marché est rarement à même de garantir.

La table ronde s’est terminée par des propositions et pistes d’actions pour que le développement des circuits courts sur le territoire se poursuive dans une perspective d’ESS.

Entre acteurs de la distribution, il peut être intéressant de mutualiser davantage (même si cela est déjà fait de façon informelle) la recherche de producteurs, les trajets de livraison et les visites d’exploitation en cas de producteur commun, voire d’harmoniser les grilles de critères. Possibilité aussi d’appui mutuel sur les modèles économiques ou sur les modes d’organisation et de gestion (par exemple essaimage du modèle « épicerie paysanne de quartier » ).

Sur un plan plus large, les participants appellent de leurs vœux la mise en place d’une politique territoriale alimentaire, permettant de fournir aux acteurs des filières une vision prospective du marché, favorisant les rencontres entre réseaux de producteurs, réseaux d’intermédiaires et associations de consommateurs et s’emparant de la question du foncier agricole, tout en réfléchissant aux actions à mettre en œuvre pour assurer simultanément alimentation saine, maintien d’une agriculture de proximité et préservation des territoires.

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